Depuis quand écris-tu et qui t'as donné l'envie d'écrire ?
J'écris des chansons depuis que j'ai 17 ou 18 ans. C'était mon hobby. Au
début, si je me suis mis à écrire, c'est peut-être par envie de faire
comme Brassens. Et si j'ai gardé ça pour moi, c'est parce que ça ne
valait pas Brassens.
Aujourd'hui ce que j'écris n'est pas du Brassens, mais j'ai cessé de me
dire "Etre Brassens ou rien". J'accepte d'être Arbon.
Comment pratiques-tu.......as-tu une méthode de travail ?
Le plus souvent, je me mets à la guitare, sans a priori sur ce qui va se
passer. C'est comme une partie de pêche: je joue, je joue et j'attends
que quatre ou cinq mots viennent mordre à deux ou trois accords. Puis
j'évalue l'embryon de chanson que j'ai attrapé: soit je le rejette, soit
je le note. C'est là, dans ce cas, que commence le travail: faire de
cette intention initiale une chanson complète, la développer,
littérairement et musicalement, faire en sorte qu'elle tienne la route à
mesure de son expansion.
Plus rarement, je pars d'une idée précise de paroles ou de musique que
j'ai en tête, et je cherche le complément qui pourrait s'accorder avec.
Dans tous les cas, le processus est en général assez long (de l'ordre de
plusieurs semaines) et le taux d'échec (défini comme le rapport entre le
nombre de chansons entamées et le nombre de chanson abouties) élevé.
Ou trouves-tu ton inspiration et quels sont tes thèmes préférés ?
Pour les textes, je trouve mon inspiration un peu partout, mais souvent
dans mes lectures. Je lis une phrase, ou un vers dans une poésie, qui me
parle, et je la transforme, je me l'approprie, je l'incorpore à mon
propre imaginaire, elle va agir comme cristalliseur dans le brouillard
pré-poétique qu'est la pensée quand elle n'a pas encore été mise en
mots. Je puise ainsi volontiers dans la poésie française, et beaucoup
aussi dans la poésie anglo-saxonne.
Pour les thèmes, je crois que j'écris souvent sur les hommes, pris comme
l'espèce humaine, avec ses caractéristiques quasi immuables, ses
constantes: ses peurs, ses rêves, son envie de changer le monde et son
incapacité à se changer elle-même. J'écris aussi sur le voyage, la
marche, comme métaphore de la vie, et bien sûr sur la fin du voyage, la
mort, sans laquelle je crois que tout ne serait qu'ennui, et qui fonde
notre liberté.
Est-ce que ta gomme est un instrument utile pour écrire ?
Non. Je n'efface rien. En revanche, je rature beaucoup. Enfin, je
devrais dire "raturais" parce que j'utilise de plus en plus souvent
directement mon traitement de texte. Mais je garde la trace des versions
successives. J'ai besoin de m'y référer. J'aime voir l'évolution des
textes, et certaines pistes qu'on abandonne lors de l'écriture d'une
chanson peuvent fort bien donner la matière à une autre.
As-tu un ordre bien défini , paroles puis musique ? La rythmique et la
mélodie te « trottent »-elles déjà dans la tête ?
J'ai répondu plus haut. Le plus souvent, paroles et musiques naissent
ensemble. Mais je peux préciser que ça peut aussi marcher différemment:
paroles d'abord (c'est par définition le cas lorsque je mets en musique
un poème, comme "Ronsard"), ou musique d'abord. Il m'est arrivé de rêver
une chanson, et de me réveiller avec une mélodie et des paroles qui
flottaient dans mon demi-sommeil. Là, c'est très délicat, il faut y
aller très doucement pour ne rien perdre. C'est pour cela que j'ai
toujours un carnet sur ma table de nuit.
La page blanche te hante t-elle ?
Oui et non. Il est rare que je sois obligé d'écrire quelque chose de
manière urgente. Si ça ne vient pas un jour, je passe à autre chose,
j'attends le lendemain. De toute façon, le plaisir de la pêche, pour
reprendre la comparaison, n'est pas simplement d'attraper du poisson.
J'écris lentement, j'en profite, je me promène dans le paysage de mes
pensées, je goûte ce vagabondage mental, je rêve, je butine d'une idée à
l'autre, je ne suis pas pressé d'arriver au but.
As-tu des périodes privilégiées pour écrire ?
Non. Quand je suis sur une chanson, j'y pense tout le temps, le matin,
le midi, le soir, la nuit.
Peux-tu écrire à la demande ?
Oui, mais je ne le fais pas souvent. Je n'aime pas trop que le thème
soit imposé, même si parfois cela donne des choses inattendues en me
forçant à prendre un parti ou un point de vue que je n'aurais pas adopté
spontanément.
Ecris-tu pour d'autres ?
Oui, mais là encore pas très souvent. Ce que j'aime faire, c'est partir
d'une musique qu'on me propose, me laisser guider par elle, recueillir
les idées qui naissent à son écoute, suivre le fil de l'émotion musicale.
Lorsque je suis sollicité pour donner un texte seul, sans musique, j'ai
tendance à puiser dans mes tiroirs.
Ecrire est-il vital pour toi?
Vital est un grand mot, car je peux me passer d'écrire longtemps. Mais
je ne pourrais pas ne jamais écrire. Vital, donc.
Les périodes d'écritures sont-elles éxaltantes ou déprimantes ?
Plutôt exaltantes. J'éprouve une véritable excitation lorsque je suis au
milieu de l'écriture d'une chanson. C'est comme un gigantesque puzzle à
assembler, avec les idées, les rimes, les contraintes de durée. C'est un
casse-tête extrêmement stimulant. La déprime, c'est le post-partum. La
chanson finie, je la considère dans sa finitude, et je me dis: "Bon,
finalement, ce n'est que ça".
Si tu devais donner un seul conseil à un débutant parolier , ce serait
lequel?
Travaille. Ne te contente pas des mots qui te viennent en premier.
Taille-les, polis-les, vois ce qu'il y a derrière, explore s'il n'y a
pas une meilleure façon de dire les choses.
Tes chansons préférées ? (en dehors de ton répertoire)
Ah! Quelle question impossible! Enfin, voici une petite liste, telle
qu'elle me vient ce soir :
La mémoire et la mer (Ferré)
Le temps du tango (Caussimon / Ferré)
Suzanne (Leonard Cohen)
Famous blue raincoat (Leonard Cohen)
My funny Valentine (Rodgers et Hart)
Saturne (Brassens)
Supplique pour être enterré sur la plage de Sète (Brassens)
Isn't it a pity (George Harrison)
Blowing in the wind (Dylan)
Ballade des places de Paris (L Boyer / A Stanislas)
September song (Sinatra)
Que reste-t-il de nos amours (Trénet)
Ma plus belle histoire d'amour (Barbara)
The great gig in the sky (Pink Floyd)
La complainte de la butte (Mouloudji)
Le paradis perdu (R Fernay, H May)
Merci Jean-Pierre, et bonne route....
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