RENCONTRE
AVEC ....    
FRANCIS       DEBIEUVRE
Photo du cd " Des endroits où l'on se pose"          

Francis, c'est surtout à l'auteur que je m'adresse aujourd'hui .

Te souviens-tu de l'écriture de ta première chanson ? Et depuis ...combien en as-tu écrites ?

Je ne pourrais dire quelle était vraiment ma première chanson.

Vers quinze, seize ans, j’ai commencé à écrire des petits textes en rapport à des événements plus ou moins douloureux que je traversais.

Les premières chansons sont venues avec mes premiers accords de guitare, comme si la parole avait attendu la musique pour pouvoir enfin s’épancher.

Je me souviens alors, quand je les interprétais, seul dans ma chambre et pour les chansons qui m’emportaient au plus loin, d’un état fiévreux, comme un balancement hypnotique.

J’ai écrit une soixantaine de chansons depuis.

Comment pratiques-tu.......as-tu une méthode de travail ?

As-tu un ordre bien défini, paroles puis musique ? La rythmique et la mélodie te « trottent »-elles ensemble dans la tête ?

Je m’y prends de façon instinctive et j’aurais bien du mal à parler d’une méthode de travail.

Je peux écrire à toute heure du jour jusqu’à tard le soir, rarement la nuit, je peux y passer des heures ou seulement quelques minutes, je ne m’attelle pas à la tâche régulièrement et je n’ai pas de rituel bien précis.

Ceci dit, je crois être rigoureux et exigeant quand je m’y mets.

La plupart du temps la musique et les paroles naissent ensemble.

Il arrive que la musique induise les paroles parce que l’atmosphère qui s’en dégage suscite un flot d’images que je mets en scène.

Mais il arrive aussi que ce soit une phrase qui, à elle seule et parce qu’elle est porteuse d’un rythme particulier, va engendrer une musique.

Toute naissance est singulière et chaque chanson a son histoire.

La page blanche te hante t’elle ?

Pas vraiment car je ne me mets pas en situation d’être devant une page blanche.

Si je sors une feuille, c’est parce qu’une idée m’est advenue.

C’est parce qu’une musique engendre des mots.

Cela peut alors aboutir à une chanson ou bien avorter de soi même.

J’ai quelques fois le sentiment très fort que la veine est bonne et que la chanson est déjà là quelque part, en gestation et qu’il convient de mettre tout en œuvre pour la révéler.

Alors je m’y attelle avec intensité, persuadé qu’il en résultera quelque chose.

Si je n’ai pas la hantise de la page blanche, en revanche, j’ai toujours peur que la chanson que je viens d’écrire soit la dernière comme si la faculté d’écrire des chansons ne m’appartenait pas et qu’il s’agissait d’un « petit miracle » à chaque fois renouvelé.

As-tu des périodes privilégiées pour écrire ?Peux-tu écrire à la demande ?

Si l’on parle en saison, j’ai le sentiment d’avoir d’avantage écrit en automne et au printemps.

D’ailleurs ces deux saisons distinctes ne donnent pas la même teneur aux chansons (plus recueillies en automne et plus extraverties au printemps).

Il est des chansons qu’il m’est plus facile de réinterpréter dans la saison où elles ont été écrites car je retrouve les sensations et les parfums qui les ont fécondées.

J’ai cru longtemps que je ne pouvais pas écrire à la demande.

Et puis, j’ai eu l’occasion de le faire, il y a trois ans.

Suite à deux voyages en Pologne et plus précisément dans les camps de concentration, Une personne qui m’est chère m’a demandé de créer une chanson sur le thème de cette tragédie que fut la shoah.

Ce fut pour moi un véritable accouchement.

J’ai donc écris une chanson intitulée « Auschwitz » et qui est une chanson phare du deuxième album.

Ecrire est-il vital pour toi?

J’ai quelques fois l’impression que non, que je pourrais trouver mon bonheur à cultiver un jardin, à planter de la vigne, à voyager…..

Mais je pense aussi à cette phrase qui dit « on vous a donné un talent, vous avez à en rendre compte ».

Ce qui est vital, c’est de devenir « pleinement vivant » et d’aller au bout de ses rêves, qu’on écrive ou pas….

Chaque chemin est particulier. Certaines personnes assument très tôt leur nature et ils tracent en conséquence.

En ce qui me concerne, j’ai mis beaucoup de temps à choisir véritablement un axe, j’ai tourné autour du pot bien longtemps, restant en périphérie de moi-même, et étant en quelque sorte et comme le dit Anne Sylvestre « l’entrave à mes propres pas ».

J’ai choisi désormais de faire ce métier à temps plein, c’est un peu fou j’en conviens mais n’est-il pas plus fou d’être totalement raisonnable ?

Les périodes d'écritures sont-elles exaltantes ou déprimantes ?

Elles sont toujours exaltantes.

C’est un des moments le plus intense et le plus magique que je connaisse.

Si tu devais donner un seul conseil à un débutant parolier, ce serait lequel?

C’est d’aller au devant de ses peurs, « d’aller voir » comme disait Brel et ne pas se contenter de ce que l’on connait.

Et si je te dis cela c’est que j’ai besoin moi aussi de l’entendre bien souvent.

Ta chanson préférée ?

J’en ai plein. Chacune m’a accompagné durant toutes mes périodes de vie.

Aller en vrac, comme ça vient :

« Bonhomme » de Brassens, « Clodi Clodo » de Nougaro, « Je suis un soir d’été » de Brel, « l’Homme qui pleure » de Bernard Haillan, « Dis quand reviendra-tu ? » de Barbara, « Tout m’étonne » de Lafaille, « sur les pointes » d’Allain Leprest, « la célébration pour l’oiseau » de Philippe Forcioli, « c’est pour une môme » de Michel Bernard, « comme il disent » d’Aznavour, et « La folle complainte » de Trénet, « les mots » de Bernard Joyet , « Mistral Gagnant » de Renaud, « Les personnages » de Michel Bühler, « Les petits cœurs de papier peint » de Bruno Ruiz,  « La folle complainte » de Trénet , « P’t’être » de Marc Servera, « Le Manque » d’André Bonhomme et je pourrais continuer ainsi…

Te sens-tu plus Auteur que Compositeur ? Estimes-tu que la musique et les arrangements soient aussi importants que le texte ?

Tout est important car la chanson, c’est un tout.

En ce qui me concerne, je suis souvent séduit par la mélodie à tel point que je me rends compte pour certaines chansons, que je n’avais pas vraiment écouté le texte, conquis dans un premier temps par la musique, la voix et les arrangements comme si ces trois éléments me nourrissaient déjà amplement tout en préparant néanmoins à l’écoute du texte.

Quel impact voudrais-tu que tes propres chansons aient auprès des gens ? Quelle est la mission de tes chansons ?

A cette question, comment ne pas tomber dans la vanité ou la fausse modestie ?

Pour être sincère, j’aimerais que mes chansons puissent porter à croire en l’homme et à son évolution possible.

J’entends souvent dire que la chanson ne change pas la face du monde.

Non certes, pas à elle seule, mais elle s’inscrit dans un tout et participe à sa manière à l’évolution du monde.

Si rien n’est ultimement important, rien n’est anodin, non plus. Si elle n’a jamais empêché une guerre de se déclencher, elle a peut-être un jour et quelque part dissuadé un jeune de se suicider. En tout cas je me plais à le croire….

Si mes chansons peuvent amener une réflexion alors tant mieux, si elles peuvent tout autant qu’un livre, qu’une toile, ou une rencontre élargir la conscience, alors j’ai tout lieu déjà de m’en réjouir.

Je ne suis pas là uniquement pour faire passer un bon moment et être un baume éphémère au désespoir ambiant. D’autres le font bien mieux que moi.

J’ai juste à devenir ce que je suis et à en témoigner du mieux que je peux.

Quel regard poses-tu sur la chanson française actuelle, son évolution, son avenir ?

Je n’ai pas une position tranchée sur la question. J’écoute la jeune génération et je découvre de bien belles choses (Jeanne Garreau, Matthieu Bouchet, Manu Galure, Stéphane Cadet, Olivier Gil, Frédéric Bobin, Laurent Berger, Karim Gharbi(Belge), Nicolas Freyssinet, Pierre Lapointe(Canada),Clément Bertrand, François Gaillard, et bien d’autres encore.

Ceci dit, et ça ne va pas à l’encontre de leur talent, je garde une affection profonde pour les grands classiques (Brel, Brassens, Barbara, Ferré, Ferrat, Nougaro,….).

Sans oublier G Lafaille, Forcioli, Allain leprest…….

J’aime découvrir des univers singuliers.

C’est le cas pour moi par exemple avec Pierre Lapointe, que j’ai ré écouté il y a peu et qui non seulement propose un monde surprenant mais qui est aussi capable d’investir les chansons des autres de façon personnelle et touchante à la fois.

Pour parler du paysage de la chanson en France, je suis impressionné de découvrir autant de chanteurs ou chanteuses, autant de monde à vouloir s’exprimer et dire des choses….

C’est une bonne chose sans doute et en même temps j’ai l’impression que les programmateurs sont saturés de demandes et finissent par y perdre leur latin.

J’ai vu que le Limonaire à Paris croule sous les démos à écouter et se voit obligé de suspendre pendant trois mois la réception de nouvelles maquettes.

J’entends aussi des programmateurs évoquer l’agressivité et l’arrogance de certains artistes dans leurs prospections.

Je pense qu’au-delà de cette frénésie il y a un espace à découvrir et à inventer et que si l’on est pleinement engagé envers soi alors des espaces peuvent s’ouvrir.

Je ne dis pas cela par expérience mais par conviction.

Quand je lis de Valérie Barrier, la fille de Ricet Barrier, les mots suivant :

« Je pense que l’Homme s’inscrit dans un Plan, comme l’oiseau et la pierre. Il n’y pas lui et les autres.

Il y a l’Unité d’un Grand tout dans lequel l’Homme s’inscrit. Et je crois qu’il apparait dans sa verticalité quand il en prend conscience », je me dis que l’on passe désormais à une forme de conscience plus élargie et plus reliée à une quête d’Essentiel.

Et comme les artistes « voient plus loin que l’horizon », on peut se demander s’ils ne sont pas les témoins par anticipation d’une profonde mutation.

Y a t-il une question à laquelle tu aurais aimé répondre ....et que je ne t'ai pas posée ?

Non tout va bien ! Et je te remercie.

Merci Francis pour ta disponibilité .

 

 

 
 



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