RENCONTRE AVEC ZED VAN TRAUMAT...

Photo  Guillaume R

Zed Van Traumat, chanteur libre, volontiers provocateur… Cet échalas trentenaire au verbe aiguisé comme la lame du matador s’impose comme le poète de nos vicissitudes ordinaires. Trop éduqué pour être grossier, trop sanguin pour se laisser lisser, Traumat se délecte souvent de plonger sa plume dans l'encre d'une révolte narquoise. Une encre parfumée à l'acidité du désespoir et teintée par la noirceur d'un humour à la férocité exemplaire. Pour le connaitre un peu plus...allez voir son site , allez le voir sur scène , l'enthousiasme du personnage vous fera très vite basculer dans son monde original !
Le domaine de prédilection de Zed Van Traumat ? L'écriture .
Alors je suis allé au devant de l'auteur....et je lui ai posé quelques questions !

Stépnane , ( et oui ....en fait Zed c'est Stéphane ! ) depuis quand écris-tu et qui t'as donné l'envie d'écrire ? 

C'est très clairement mon père qui m'a transmis son amour du langage, des mots, de la poésie... Il m'a initié dès mon plus jeune âge à l'étymologie latine et grecque, en même temps qu'aux calembours, aux contrepèteries... Il m'a enseigné que le français est un outil infiniment plastique, qu'on peut triturer à loisir.

Adolescent j'écrivais des poèmes, des nouvelles... Des trucs plutôt pompeux, très romantiques, rien de bien fameux... Après le bac, j'ai entamé des études de journalisme, pour finalement réaliser que ça ne me convenait pas du tout, cette façon là d'écrire la réalité et d'agir sur elle. J'ai alors bifurqué vers l'ethnologie, discipline qui m'a passionné et beaucoup appris. Mais à la même époque la chanson m'a happé et ne m'a plus lâché. En fait, je me suis brutalement découvert un goût particulier pour la scène, et des qualités d'interprète... Je me suis mis à écrire des chansons pour servir cet interprète.

Comment pratiques-tu.......as-tu une méthode de travail ? 

Jusqu'à il y a peu, je collectais au quotidien dans un carnet des phrases sonnantes, des expressions, des bouts rimés, des fragments.De temps en temps, quand j'avais le temps, je reprenais ces idées et tentais de développer celles qui m'inspiraient dans un autre carnet. Ça donnait quelques chansons... Pas beaucoup à vrai dire.

Depuis mon passage aux Rencontres d'Astaffort, j'ai compris qu'il manquait à ma méthode un élément décisif : un peu de discipline... En fait, je me suis rendu compte que mes "problèmes de flux" découlaient du fait que je ne m'accordais pas suffisamment de disponibilité. J'écrivais mes chansons entre deux courses, deux concerts, deux coups de fil...

Je continue donc à prendre des notes, à éventuellement les développer. Mais je me fixe désormais des rendez-vous d'écriture, courtes sessions de deux ou trois jours, seul ou en compagnie d'un musicien.

Je fais en sorte qu'il n'y ait rien autour qui puisse m'absorber, me distraire. Je n'ai qu'une chose à faire : écrire des chansons. C'est un peu douloureux au début mais ça marche. Je produis. Pas que des bonnes choses, certes, mais auparavant non plus...

Ou trouves-tu ton inspiration et quels sont tes thèmes préférés ? 

L'inspiration, je la trouve au quotidien dans la vie, les discussions, la radio, les lectures... Tout peut être déclencheur.

Je n'ai pas de thèmes de prédilection. Simplement j'écoute les mots et je leur fais "rendre sens". Comme c'est moi qui les malaxe, ils sont empreints de ma sensibilité, de ma culture, de ma tournure d'esprit, de mes opinions philosophiques et politiques...

Concrètement, j'écoute passer les mots et quand l'un m'appelle, par quelque qualité sonore ou sémantique, je le colle dans une phrase.

Un exemple ? Un jour, je tombe sur le nom du photographe Nadar, et ce nom mystérieux me fascine, et je vois qu'il contient le mot "rien" en espagnol : nada.

J'écris dans mon petit carnet noir : "je ne suis rien ni personne : Nadar." Cette phrase reste endormie pendant des mois jusqu'au jour où je commence à entrevoir comment résoudre son énigme : comment peut-on être Nadar, c'est à dire un photographe archi-célèbre, et considérer que l'on est rien ?

L'idée me vient, un peu mélancolique, de ces gens qui passent leur vie à photographier les autres, et qui, de fait, ne sont jamais sur la photo.

L'idée me vient que peut être, avec une loupe surpuissante, on pourrait apercevoir l'ombre du photographe dans l'oeil des personnes photographiées...

Me vient soudain une réminiscence d'un poème de Mallarmé : "Je dis une fleur et (je ne sais plus hors de quoi) mystérieusement se lève, idée même et suave, l'absente de tout bouquet"... J'écris :
"Je suis l'absent de tout tableau, de toute image de tout cliché,l'absent de toute fête de tout noce de tout banquet, mystérieux témoin, minuscule reflet dans l'oeil des sujets...Mais malgré mon amour de l'Hommeet pour l'amour de l'art je ne suis rien ni personne : Nadar " 

Est-ce que ta gomme est un instrument utile pour écrire ? 

J'écris comme un petit goret, de façon presque illisible pour les autres, la plupart du temps au bic cristal noir. je ne gomme jamais, je raye, je biffe, je hachure et je rature, je flèche, je tasse, j'accolade : c'est un véritable chaos. Après deux ou trois brouillons, parfois plus, je tape une mise au propre à l'ordinateur, que je rature à loisir jusqu'à la version définitive. 

As-tu un ordre bien défini , paroles puis musique ? La rythmique et la mélodie te « trottent »-elles déjà dans la tête ? 

Longtemps j'ai plutôt écrit les paroles d'abord, en me basant effectivement sur un pattern rythmique : très souvent, ce rythme "patron" n'est pas celui retenu au final pour la chanson.

J'ai pu aussi parfois partir de l'association immédiate d'une phrase avec un élément mélodique.

Plus rarement l'élément déclencheur a été une suite d'accords à la guitare. C'est le cas d'une de mes chansons actuelles, Prière du Soir... Au départ c'était ce qu'on appelle un "lavabo" - le lavabo est au français ce que le yaourt est à l'anglais : juste des syllabes, des bouts de mots sans suite qu'on pose sur la musique pour se donner une idée. Le texte de Prière du soir a d'ailleurs gardé la trace de ses origines lavabières, dans son approche très sonore du langage.

Depuis quelques mois, je travaille de nouvelles compos avec Vincent Mouchés, guitariste. Et je prends goût à élaborer texte et musique en même temps. La couleur de la musique vient directement influer sur le contenu du texte, les deux cherchent à s'équilibrer. Ça m'ouvre des perspectives inconnues. C'est passionnant de bosser comme ça. 

La page blanche te hante t-elle ? 

J'ai parfois la peur de m'assécher, de ne plus rien avoir à dire. Mais je me soigne. 

As-tu des périodes privilégiées pour écrire ? Peux-tu écrire à la demande ? Ecris-tu pour d'autres ? 

Comme je le disais plus haut, j'ai besoin pour écrire d'être totalement disponible, c'est à dire dégagé de mes obligations quotidiennes, du téléphone, de l'internet, coupé du monde, quoi : do not disturb.

Pour ce qui est d'écrire à la demande : oui, sans aucun problème. J'ai découvert - également à Astaffort- que j'adore écrire pour les autres, que cette contrainte supplémentaire me stimule, que les thèmes imposés m'inspirent (souvent). J'essaye en ce moment de développer des collaborations avec des interprètes dont j'apprécie la personnalité. 

Ecrire est-il vital pour toi? 

Il m'est arrivé de ne rien écrire pendant plusieurs mois... Je n'en suis jamais mort.

Cela dit, si écrire n'est pas pour moi quelque chose de "vital", j'ai le sentiment que c'est ce que j'arrive à réaliser de plus beau, de plus noble, de plus fort, au cours de ce passage terrestre. Et je ne vois pas bien pourquoi je devrais m'en priver. 

Les périodes d'écritures sont-elles exaltantes ou déprimantes ? 

Je suis plutôt exalté lors de l'écriture, genre : "C'est génial ! C'est génial !"

Et puis souvent le doute s'installe par la suite, un peu déprimant : est ce qu'elle est bien au fond cette chanson ? Est ce qu'elle va être reçue ? Est ce qu'elle n'est pas trop ceci ou cela ? C'est à ce moment là, lors des premières présentations du morceau que j'ai "mes affres". Une sorte de déprime post-partum ? 

Si tu devais donner un seul conseil à un débutant parolier , ce serait lequel ? 

Bosse ! 

Ta chanson préférée ? 

Je n'en ai pas. Il y a trop de chansons que j'adore pour que je puisse en citer une seule. 

Te sens-tu plus Auteur que Compositeur ? 

Oui, je me sens plus auteur que compositeur. Simplement parce que les mots me viennent plus facilement que la musique. 

Estimes-tu que la musique et les arrangements soient aussi importants que le texte ? 

Je mettrais le texte et la musique à égalité : la chanson c'est paroles et musique... Pour ce qui est des arrangements je serais plus réservé. C'est généralement ce qui vieillit le plus mal, sans doute parce que ça a tendance à sacrifier au goût du jour... Pour moi, une vraie bonne chanson doit tenir debout dans son plus simple appareil : piano-voix ou guitare-voix. Un morceau qui ne marche que grâce à l'arrangement, c'est louche... 

Pour terminer, comment vois-tu l'avenir des ACI comme toi (ceux qui colportent la bonne chanson Française) qui sont peu, pas ou mal reconnus ? Plus précisément un ACI comme toi peut-il vivre correctement de son Art aujourd'hui ? 

Pour ma part, je vis depuis plus de dix ans de mes activités artistiques, dans lesquelles la chanson occupe la plus grande part. C'est essentiellement la scène qui me fait vivre, à travers le statut d'intermittent du spectacle. Si ce statut sautait... je devrais me débrouiller autrement et ce serait sans doute très dur.

Il y aussi la SACEM, dont je suis sociétaire, et qui contribue à me faire croûter. Mais c'est hélas une institution assez opaque, pyramidale, qui ne favorise guère les petits auteurs-compositeurs par son système de sondages et de répartitions. J'ai parfois envie de me battre pour que ça change...

Pour ce qui est de l'avenir des ACI en général, je ne suis pas très doué pour la prospective... Je pense en tous cas que la chanson est une forme bien vivante, avec plein d'avenir devant elle, et qu'il y aura toujours des gens pour trouver du temps et des moyens à lui consacrer... 

Y a t-il une question , auquelle tu aurais aimé(e) répondre et que je ne t'ai pas posée ? 

Pas vraiment. En revanche je vous suis reconnaissant de ne pas m'avoir posé un tas de questions auxquelles je n'aurais pas du tout aimé répondre. Merci !

 

Et bien , cite moi en une .....auxquelle tu n'aurais pas du tout aimer répondre ?

Il y en a une foule de très génantes et une foule d'autres, bien trop récurrentes, genre : "pourquoi avoir choisi ce nom de Zed van Traumat ?"

 

Alors, juste une petite dernière : pourquoi avoir choisi ce nom : ZED VAN TRAUMAT?

Grrr. Traumat est mon véritable nom - et je ne peux faire autrement que le porter. Il y a un dizaine d'années, avec l'écrivain André Paillaugue, nous avons commencé à élaborer une langue artificielle, l'Oermed, qui agrégeait des phonèmes anglo-saxons, latins, slaves et arabes.Nous avons traduit une planche de Tintin, le premier chapitre du Voyage au bout de la nuit, et un passage d'Henry James, et puis le projet nous est tombé des mains.Toujours est-il que dans cette langue hybride et métissée, je m'appelais Zed van Traumat. Je suis de fort basse extraction : la particule m'a séduit. Il y a des noblesses d'empire, la mienne est de délire...

Merci Stéphane.....

 

 

 

 
 
 



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