RENCONTRE AVEC NICOLAS BAULT ( COMMA) |
Depuis quand écris-tu et qui t'a donné l'envie d'écrire ?
J’ai commencé à écrire des poèmes vers l’âge de 12 ans. J’ai toujours baigné dans l’écriture de par une mère professeur de français et un père professeur d’éducation socioculturelle qui sont des passionnés de chanson française et de poésie. J’ai eu la chance, tout jeune, de voir passer à la maison des artistes comme Jean Vasca ou Bruno Ruiz. J’ai pu rencontrer de grandes figures comme Andrée Chedid, Jean-Louis Trintignant, Anna Prucnal ou Allain Leprest. J’ai toujours eu un sentiment fort vis-à-vis de la langue française et une haute estime du mot et de la parole comme vecteur de création et d’explication du monde intérieur et extérieur.
Comment pratiques-tu ? As-tu une méthode de travail ?
Très anarchique comme la plupart des créateurs je pense. Pas très besogneux. Je suis plutôt du genre à attendre paresseusement pendant des jours que l’étincelle vienne et cela peut durer longtemps, avant de me plonger ensuite corps et âme dans le travail jusqu’à l’écœurement. Je ne suis pas un professionnel de l’écriture qui s’astreint tous les jours à entretenir sa plume. Je n’ai aucune méthode de travail et je dirais heureusement ! On arrive à rationaliser tant de choses aujourd’hui. La création artistique est encore l’un des seuls domaines de l’activité humaine qui ne soit pas modélisable sur le plan de la méthodologie et quantifiable en matière de rentabilité et de temps passé.
Où trouves-tu ton inspiration et quels sont tes thèmes préférés ?
Pour la musique, je partage la même explication que Björk qui dit qu’elle compose toujours après avoir cherché en vain chez le disquaire une musique qu’elle aimerait entendre mais qui n’existe pas. Il faut être le premier demandeur de ce que l’on a envie de créer, s’astreindre à suivre tant bien que mal ce sentiment qui a déclenché le processus initial de création et essayer ensuite de s’y tenir. On doit être le premier surpris par ce que l’on fait. Cela répond à un besoin de renouvellement, d’étonnement, d’excitation. Le cœur de la création se trouve là, dans le désir de voir ou d’entendre quelque chose qui n’a jamais été fait. La création à pour but de combler un vide. L’artiste crée avant tout pour répondre à ses propres désirs et fantasmes d’entendre ou de voir quelque chose qui n’a pas encore été fait, que ce soit une chanson, un tableau, une photo. On doit se surprendre et se séduire soi-même. C’est très narcissique et égoïste comme démarche mais ça tout le monde le sait. Il faut absolument compenser cet acte solitaire et honteux par de la dérision et un grand rire au final sur la scène car c’est là que tout se passe. La vérité se trouve sur la scène.
Au niveau des textes, j’essaye de trouver de l’inspiration dans des domaines différents de mes références habituelles que ce soit dans la peinture, le cinéma, la danse. Mais c’est essentiellement dans la poésie que je m’abreuve. J’essaye de faire, tel que l’a justement dépeint la journaliste de Chorus, de la « chanson surréaliste » en opposition avec cette chanson dite « réaliste ». Les amours déçus, l’absence, la nostalgie m’inspirent moins que la psychanalyse, Salvador Dali ou Lars Von Trier. J’ai toujours en fond cette phrase de Rimbaud qui parle de poète voyant et de dérèglement de tous les sens. Je pense que la poésie et l’art en général doivent faire entrevoir d’autres issues possibles que la simple explication rationnelle du monde qui nous entoure. L’art doit contribuer à renouveler le décor, à faire voir une autre facette des choses et des êtres. Mes deux auteurs actuels de chevet sont Gérard de Nerval et Antonin Artaud. Deux fous !
Finalement, il y a très peu de textes dans tes chansons, explique-nous ce choix ?
Mes textes font toujours 2 ou 3 couplets minimum plus un refrain.
Une chanson standard fait environ 3 minutes. Moi je compose des pièces qui durent entre 6 minutes et 10 minutes. C’est normal qu’au final on ait l’impression qu’il y ait moins de texte.
Je me réclame pour cela de la tradition des grands groupes anglo-saxons et des jazzmen des années 60 et 70 qui ont bercé mon adolescence: Pink Floyd, Led Zeppelin, The Doors, Miles Davis, John Coltrane et tous les artistes qui ont ouvert la voie à des formes musicales longues en partie grâce aux progrès de la technique d’enregistrement et à l’arrivée du 33 tours. J’ai toujours en référence, lorsque je compose, une version live de The End des Doors où Jim Morrison déclame pendant plus de 10 minutes. Le texte doit savoir laisser la place à des passages musicaux qui peuvent être improvisés ou plus écrits. Les deux doivent se rendre la politesse et se mettre en valeur chacun à leur tour. Dans l’opéra, heureusement que le ténor ne chante pas tout le temps et qu’il se repose pour laisser apprécier des moments de musique pure. Cela serait rasant sinon. C’est comme cela que je conçois la musique chantée. Très français au plan du raffinement et du sens du texte, plutôt anglo-saxon dans la forme musicale.
As-tu un ordre bien défini, paroles puis musique ? La rythmique et la mélodie te « trottent » elles déjà dans la tête ?
J’ai déjà écrit de la musique à partir de textes puisque j’ai travaillé avec plusieurs auteurs. C’est ce qu’il y a de plus facile à faire.
Ecrire un texte brut, par contre, est une activité difficile que je prends très en amont en général. Il me faut plusieurs mois pour finaliser un texte ou un poème. Une fois qu’il ressemble à quelque chose, il est ensuite relativement simple de lui trouver un habillage musical qui lui convienne. Comme on dit des belles femmes, elles peuvent s’habiller n’importe comment, elles restent désirables. Quoique j’aie déjà entendu des mises en musiques de poèmes de Rimbaud affreuses… Il peut m’arriver aussi d’avoir une mélodie écrite depuis plusieurs mois et de vouloir lui trouver un texte. C’est ce qu’il y a de plus dur je trouve. C’est extrêmement laborieux. Je passe des mois à changer un mot une phrase un couplet pour que cela colle à la mélodie. J’arrive rarement à entière satisfaction. Je n’ai jamais connu l’euphorie de la création parfaite dont m’ont déjà parlé plusieurs auteurs-compositeurs qui consiste à échafauder les deux en même temps dans une grâce divine et surnaturelle. C’est souvent ça la voie du « Tube ». Un jet direct où l’on compose paroles et musiques en 30 minutes. Je ne suis peut-être pas un chansonnier dans le sens littéral du terme.
Peux-tu écrire à la demande ? Ecris-tu pour d'autres ?
J’ai eu une seule vraie expérience de songwriter. C’était il y a 6 ans, à l’époque de la première Nouvelle Star. J’étais en édition avec un petit label parisien qui avait réussi à placer deux de mes titres pour le gagnant de l’émission. J’avais décidé de vendre mon âme au diable… J’écrivais avec plusieurs auteurs et je composais des morceaux à la chaîne. Je n’avais pas de moments privilégié. Je faisais ça tout le temps, tout le jour, comme un job très ludique. C’était assez grisant d’autant plus mon label me réclamait toujours de nouveaux morceaux et qu’il y avait peut-être à la clef une forte rémunération. BMG a retenu mes deux titres jusqu’à ce que la Directrice Artistique se fasse licencier et que tout finisse à la corbeille... L’histoire a duré un an. J’ai écris peut-être 100 chansons dont il n’en reste au final qu’une ou deux de potable. Pascal Sevran disait qu’il fallait en faire 500 pour en avoir 10 de bien ! Il avait raison le bougre. Excuse mes références.
C’est pendant cette période que j’ai commencé l’écriture de mon premier disque DALI ET MOI. J’ai connu alors une période intense d’écriture. Le jour j’écrivais pour La Nouvelle Star et la nuit j’échafaudais mon univers fantasmagorique. Ma rencontre avec Anne Claverie, l’éditrice de Pauline Croze, qui a beaucoup accroché sur DALI ET MOI mais qui hélas n’a pas réussi à placer mon disque, m’a convaincu d’arrêter de faire de la musique au kilomètre pour me consacrer entièrement à ma création.
Ecrire, composer, est-il vital pour toi? As-tu des périodes privilégiées ?
Je n’aime pas faire des grandes phrases sur l’utilité ou la nécessité de créer. Comme je te le disais, cela répond un désir, un fantasme, un besoin de nouveauté. Ce qui est vital pour l’homme en général c’est de manger, de boire, de faire l’amour, de procréer. Le reste n’est que de la littérature. Je suis un instinctif et un compulsif. Quand je m’immerge dans la création c’est de manière boulimique. Pour désacraliser l’acte de création, je dirai qu’il relève plus d’une déviance ou d’un TOC, d’une fâcheuse idée fixe qui consiste à vouloir toujours faire une nouvelle chanson. Je ne choisis pas vraiment le moment. C’est comme un désir qui s’impose à moi. Du coup, j’alterne toujours entre une longue période d’oisiveté et une période de travail trop courte mais extrêmement intense qui me laisse fatigué. Je suis excessif.
Les périodes d'écritures sont-elles exaltantes ou déprimantes ?
C’est excitant au début mais plus le travail avance, plus on ressasse, moins on est surpris et plus on perd la sensation originale qui a initié la création. Il y a un essoufflement. C’est un peu comme un jeu dont on se lasse. C’est pour ça qu’il faut savoir arrêter à temps le processus d’écriture sinon on finit par perdre complètement l’idée originale. On ne peut pas travailler indéfiniment sur un morceau. Comme le dit souvent un ami musicien : Le mieux est l’ennemi du bien. Du coup quand le projet est abouti, cela me laisse toujours une légère frustration mais qui est un moteur pour de futures créations où j’espère que j’arriverai à tenir le rythme cette fois. J’ai souvent le sentiment de créer par bribes un peu trop éparses à mon goût. Je suis dans une impatience assez constante de ne pas pouvoir me consacrer plus à ma création personnelle. J’ai toujours le sentiment que je n’en fais pas assez. Je suis un hyper actif insatisfait.
Si tu devais donner un seul conseil à un débutant parolier, ce serait lequel?
Lis les poètes et prend les chemins de traverse!
Ta chanson préférée ?
La nuit je mens d’Alain Bashung et de Jean Fauque. De la pure poésie contemporaine et actuelle.
Te sens-tu plus Auteur que Compositeur ? Estimes-tu que la musique et les arrangements soient aussi importants que le texte ?
Je me sens guitariste-déclameur!
Sinon, je citerais encore Alain Bashung qui dit « on vient à une chanson pour la musique mais on y revient pour le texte ».
Pour terminer, comment vois-tu l'avenir des ACI comme toi, qui sont peu, pas ou mal reconnus ? Plus précisément un ACI comme toi peut-il vivre correctement de son Art aujourd'hui ?
Je ne suis plus tout jeune c’est vrai. J’ai 34 ans. Mais c’est la première fois que j’ai un spectacle de 1h15 avec mes propres chansons et des musiciens fidèles qui me font confiance pour avancer avec moi. Nous sommes en train de réaliser le DVD promo de mon premier spectacle. Mieux vaut tard que jamais. Certains artistes se trouvent tout de suite, d’autres mettent plus de temps. Cela dépend de la maturité, des rencontres. Certains se trouvent à 20 ans. Moi, il m’aura fallu attendre 34 ans pour que mon univers artistique trouve enfin sa cohérence. Je n’ai pas connu l’attente d’être reconnu puisque je commence seulement à faire ce que j’ai toujours voulu faire.
C’est la première fois que je réunis dans un spectacle toutes les cordes de mon arc avec toutes mes influences. J’ai fais le tour de plein de choses, j’ai navigué dans beaucoup de domaines, de la musique contemporaine, au jazz en passant par le rock, avant d’arriver avec COMMA à obtenir un univers artistique que je pense sincère et original.
C’est mon premier spectacle ! Je n’ai pas tourné 10 ans devant des salles à moitié vides. Je te répondrai à 40 ans ou pas …
Y a t-il une question, à laquelle tu aurais aimé répondre et que je ne t'ai pas posé ?
Pourquoi la chanson française se porte mal et a la réputation d’être « chiante » auprès des jeunes ?
Parce qu’on nage dans le conservatisme absolu en matière artistique, comme si depuis le 11 septembre on n’était plus capable que de pasticher des artistes d’un temps révolu ! La pensée générale est un énorme cocon dans lequel on aime oublier la misère du monde en se remémorant avec une douce nostalgie un temps passé ou qui n’a jamais existé. On est en période de crise profonde au plan financier, philosophique et dans tous les domaines. Il y a une nécessité de trouver des champ nouveaux d’expression. Au lieu de ça, la chanson française ne propose que des pansements, des petites ritournelles naïves de la vie de tous les jours. La chanson française doit bousculer ses propres règles pour parler à la jeunesse de demain. Brassens, Barbara et Brel resteront insurpassables dans le genre de la chanson traditionnelle, un peu comme un Charlie Parker dans le Jazz ou un Bob Dylan dans la folk. Que l’on s’attache à perpétuer la mémoire de leurs oeuvres c’est louable mais cela ne suffira pas. Quand les samplers auront fini de recycler toute la musique du 20ème siècle, l’envie se fera à nouveau de créer du neuf. La chanson française devra suivre cet élan ou accepter sa relégation au rang de belle pièce de musée.
Merci Nicolas et bonne route !